Trouver sa place

Par Alfred Perrychard

“Depuis que l’homme est l’homme il n’a de cesse que d’essayer de trouver sa place dans ce monde”                                                                                                                                                                                                                                        Moi

Comme tout le monde, le but de ma vie est bien sûr d’être heureux. Pour ça, je pense que la clé est de réussir à trouver sa place. Sa place en tant qu’homme et sa place en tant que père. Mais déterminer son rôle de père n’est pas chose facile, et quand vous êtes le père d’un enfant atypique, ça l’est d’autant moins.

Lorsque j’étais enfant, quand les téléphones portables n’existaient pas et que l’équivalent d’internet n’était disponible que dans l’Enterprise du capitaine Kirk, la société vous donnait le portrait robot du père parfait. C’était le patriarche, assis en bout de table pendant les repas de famille, préparés par sa femme, aidée de leur fille s’il y en avait une. Les enfants débarrassaient la table, pendant que leur paternel restait assis pour regarder Patrick Poivre d’Arvor annoncer les dernières nouvelles. Les devoirs des “gosses” se faisaient avec la mère, et l’intervention paternelle n’avait lieu qu’en cas de problème. On voyait alors une silhouette approcher avec un regard qui vous faisait clairement comprendre que vous étiez beaucoup trop près de la ligne rouge. Lorsque vous lui demandiez une information sur l’organisation de la journée ou sur l’emploi du temps de la soirée la réponse était lapidaire : “Demande à ta mère”. Autant dire que la communication était proche de zéro. Attention, je précise que chez moi, nous n’en étions pas à ce niveau. Nous étions à celui juste en dessous : celui où la communication existe parce que mon père était quand même assez « moderne » pour l’époque. Mais malgré cette modernité, certains marqueurs étaient bien présents, comme la place à table et la répartition des tâches par exemple.

Aujourd’hui, l’image de l’homme et sa place dans la société étant enfin remis en question par le bouleversement « me too », celles du père s’en trouvent également perturbées. L’égalité des sexes, le girl power, et beaucoup d’autres progrès font que l’homme doit réfléchir différemment et voir son couple comme un binôme et non plus comme un homme d’affaire et sa fidèle assistante.

Un combat de tous les jours.

Cette démarche d’avancer contre les préceptes qui m’avaient été inconsciemment inculqués, je l’ai adoptée, non sans mal. J’ai lutté, et je lutte toujours, pour être un papa et un mari moderne, occupant la même place que sa femme avec les mêmes pouvoirs, les mêmes droits, et surtout les mêmes valeurs d’éducation, de communication et d’échanges avec notre fille. Mais lorsque vous allez contre les habitudes des générations de papas précédentes, ces derniers ne vous comprennent pas et n’hésitent pas à vous le faire savoir. Même chose avec ceux de votre génération n’ayant pas, eux, par choix, adopté cette démarche, qui estiment que ce que vous faites est inutile, voir même dangereux.

Mais mon pire ennemi dans cette lutte acharnée pour être un bon coéquipier pour ma femme et un bon soutien pour ma fille, c’est bien moi. Parfois, malgré tous mes efforts, celui que j’aurais dû être, selon des règles vieilles de 40 ans, ressort d’on ne sait où ! Je me vois assis dans mon canapé, à regarder mon téléphone (on est en 2023, PPDA est loin des plateaux) pendant que ma femme prépare notre fille ou fait la cuisine. A d’autre moment ma fille vient me voir pour me demander à quelle heure est le rendez-vous Ergo de cet après midi et je réalise que je ne savais même pas qu’elle avait un rendez vous ! Bravo le papa moderne qui s’implique dans la vie de son enfant ! Mais j’essaie de m’améliorer en combattant mes vieux démons et en me répétant la phrase que je dis très souvent à ma fille : « ce sur quoi on va te juger, ce ne sont pas tes notes et tes résultats, mais ton parcours pour y arriver. As-tu vraiment fait de ton mieux ? » et je me dis que non, que je peux encore en faire plus. Ma place n’est pas en bout de table !!

Bienvenue dans le multivers de l’atypie.

Au tout début de cet article, je vous précisais que trouver son rôle lorsque vous êtes le papa d’un enfant atypique était encore plus difficile et je vais vous expliquer pourquoi.

Maintenant que je me suis enfin détaché des valeurs patriarcales à l’ancienne, que j’ai enfin réussi à faire abstraction des personnes qui me jugent et que je m’améliore chaque jour dans mon rôle de père (en tout cas, j’essaie), je fais face à un phénomène auquel je n’étais pas du tout préparé et qui touche les papa d’enfants atypiques. Je pourrais vous en parler en vous donnant une multitude d’explications et notamment le nombre de pères qui quittent le foyer en laissant femme et enfant seuls. Ou bien encore le nombre de divorces, beaucoup plus élevé que dans le reste de la population. Ou encore, le fait que les mères « montent beaucoup plus au front » pour défendre leur enfant face aux injustices et aux problèmes qu’ils rencontrent. Mais le sujet de cet article n’étant pas de juger ou d’analyser ces explications, ce qui demanderait des pages et des pages mais qui fera certainement l’objet d’autres publications dans un futur proche, je vais me contenter de parler de l’effet secondaire qui en découle.

Le monde de l’atypie est un univers parallèle où les pères … ont quasiment disparus !

On peut très vite et très facilement s’en rendre compte en allant sur Facebook par exemple et en lisant les messages postés dans les groupes dédiés. 98% (selon ma méthode de calcul appelée “à vue de nez”) des posts sont créés par des femmes. Et les commentaires qui s’y rattachent le sont également. Il y a très peu de pères qui s’expriment.

Messieurs, avez-vous peur ? Le sujet ne vous intéresse-t-il pas ? N’hésitez pas à me donner votre avis en commentaire, parce que cette question m’intrigue beaucoup. En tout cas on peut se dire que nous n’avons pas (encore) pris notre place dans les discussions sur les réseaux sociaux.

Il y a un autre domaine où on peut voir que les pères ont disparus : c’est dans le milieu médical. Un jour, nous allons en rendez-vous chez une pedopsychiatre. Nous entrons dans son cabinet et je ressens dans son comportement que quelque chose ne va pas. Elle n’est pas à l’aise. Après quelques minutes je constate avec stupeur qu’elle ne me regarde pas du tout. Elle ne s’adresse qu’à ma femme, voir à ma fille, mais moi, je ne suis pas là. A ce moment précis, une sueur froide m’a envahit et je me suis cru dans le film 6ème sens. J’ai bien failli me lever en faisant de grands gestes pour vérifier que je n’étais pas mort. Nous sortons du rendez-vous, j’en parle à ma femme, qui Dieu merci me voyait bien, et on tombe d’accord pour dire que cette spécialiste, très sympathique au demeurant, et qui semblait être très compétente, ne s’attendait pas du tout à me voir et qu’elle ne devait pas avoir l’habitude de s’adresser à un couple de parents. Et cet exemple se répète très souvent, avec plus ou moins d’intensité ce qui a tendance, à défaut de me faire peur, à m’agacer très franchement. J’en conclus que, pour le corps médical, ma place n’est pas en première ligne. Idem face au corps enseignant d’ailleurs, mais ça fera l’objet d’un autre article qui risque d’être très intéressant tant il y a de choses à dire.

Après m’avoir lu jusqu’ici, et je remercie ceux qui sont toujours là, vous pouvez faire l’analyse que trouver son rôle et sa place ne sont pas choses faciles.

Batman m’a sauvé !!

Et puis un jour, ma femme qui écrit une newsletter a écrit ceci dans l’une d’entre elles :

“Ne nous y trompons pas. Nos enfants sont des héros !

Bien souvent, on nous compare, nous, les parents (oui, vous aussi les papas !) à des super héros. On dit des parents d’enfants autistes qu’ils sont courageux, forcent le respect, méritent l’admiration …. C’est vrai. Mais nous ne sommes rien ou si peu au regard de l’énergie et de la force que nos enfants déploient chaque jour pour masquer leur handicap et avoir une chance d’être intégré et être, le temps de quelques heures au moins, conformes à ce que la société attend en gommant (à quel prix ?) ce qui la dérange ! Nous ne sommes pas Batman ; nous sommes Robin ! Les vrais super héros, ce sont eux, ceux qui portent le trouble, qui le vivent, adulte ou enfant, ne nous méprenons pas.”

En lisant ces quelques mot, je me suis d’abord dit que ma femme écrivait bien, et ensuite je me suis demandé qui je pouvais être si on restait dans l’univers de Batman en imaginant que l’homme chauve souris c’est ma fille et que ma femme, c’est Robin. Et j’ai trouvé ! Et j’en suis très fier. Ce personnage n’a pas de cape, personne ne le voit (tient, ça me rappelle quelque chose), et il est indispensable à la réussite de Batman. Il aide à la fois les deux héros lorsqu’ils sont masqués mais également quand ils ne le sont pas. Il est la conscience et la sagesse de l’équipe. Et accessoirement il fait le Earl Grey comme personne.

Ce personnage c’est Alfred Pennyworth ! Le majordome de Bruce Wayne, celui qui l’a élevé quand ses parents sont morts, qui l’a aidé à grandir et à devenir le super héros que l’on connait. Il œuvre dans l’ombre de l’ombre mais il est d’une grande importance.

Comme Alfred aide Batman et Robin, j’aide ma femme à aider notre fille et j’aide notre fille à s’aider elle même. Je reste à l’écart très souvent, non pas parce que je suis effacé mais parce que nous avons trouvé notre rythme et nos places respectives. Il faut rester à l’écoute et être là quand il le faut et comme il le faut. Et si en plus je leur sers un thé de temps en temps …

Je pense donc que ma place est là, en retrait mais toujours présent. Celui qui fait en sorte que les 2 supers héroïnes puissent se concentrer sur leurs missions respectives.

Et vous messieurs, quelle est votre place ? Comment l’avez vous trouvée ? Quel a été votre parcours ?

Si vous le souhaitez, venez me rendre visite dans le groupe Facebook “Chez Alfred”. Nous pourrons discuter de la place du père et de la bonne température du Earl Grey (ou tout autre breuvage, je ne suis pas psycho-rigide du earl grey).

Et n’hésitez pas à m’y raconter tout ça en commentaire. Pour une fois, vou serez majoritaires.

                                                                                                                                                                                     Alfred

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